Histoire du 16ème siècle à nos jours du château de Reichenberg
C’est dans cette situation qu’en 1525 éclate la guerre dite « des Rustauds ». Dans toute l’Alsace les paysans gagnés par la réforme se soulèvent contre les seigneurs et le clergé. La région de Bergheim est particulièrement secouée : Le Tempelhof et le village de Weiler sont complètement saccagés. Le haut Reichenberg, en l’absence de ses propriétaires, est pillé et incendié. Il ne sera plus restauré et pendant quatre siècles il tombe en ruine inexorablement.
Les deux parties du Reichenberg sont enfin réunies
Cinquante ans après la guerre des Rustauds, en 1572, une moitié de la « vieille tour » s écroule et dans un rapport adressé à la « régence » qui administre les biens de Habsbourg en Alsace le rapporteur écrit en 1590 « le vieux château de Reichenberg est en plein délabrement » et l’effondrement de la dernière partie de la tour pourrait blesser ou tuer les gens qui passent au pied du rocher. La régence passe outre cet avertissement et répond que jusqu’à nouvel ordre il faut laisser les choses en l’état. On peu penser que pour la régence le Reichenberg avec les terres et les droits féodaux qui en dépendent garde malgré tout de la valeur.
D’ailleurs les éternelles querelles entre les Habsbourg et le Duc de Lorraine se ravivent à propos du château à la mort sans héritier du dernier Hattstatt en 1585. En effet normalement le Haut Reichenberg, en l’absence d’héritier mâle, devrait sans conteste revenir au duché de Lorraine mais la régences d’Ensisheim revendique le Haut Reichenberg comme relevant des Habsbourg. Comme d’habitude il y a conflit et le duc de Lorraine décide de prouver son autorité. En 1604 il confère en fief à un cousin des Hattstatt, Jean-Reinhard de Shauenbourg, le Haut Reichenberg et toutes les forêts, la cour colongère et l’avouerie de l’église de St Pierre à Wyler en ruine également.
Schauenburg étant au mieux avec les Habsbourg le duc de Lorraine pensait que ceux-ci accepteraient sa décision. C’était méconnaître les Habsbourg qui par principe confèrent à un gentilhomme Souabe Christophe de Stadion les mêmes biens attribués par le duc à Schauenburg. Finalement la querelle s’éteint avec le renversement de l’Empereur par son frère qui reconnut comme seul propriétaire du Reichenberg Jean Reinhardt de Schauenburg.
De cette façon les deux parties du Reichenberg sont enfin réunies mais en ruines. Shauenbourg en haut et Waldner en bas sont tous deux vaisseaux des Habsbourg et le duc de Lorraine n’a plus de droits sur ce domaine dont il ne reste plus grand-chose.
Deux siècles et demi de querelles à peu près ininterrompues illustre jusqu’à la caricature les situations indémêlables issues des relations juridiques entre vaisseaux et seigneurs. Quand les deux rivaux habitent sur le même rocher la situation devient parfois explosive et invivable.
Les sorcières se réunissent au Reichenberg
En 1618 un rapport adressé à la Régence d’Ensisheim décrit ainsi la situation du Reichenberg : Un vieux château en ruine sis au dessus du Tempelhof et de St Pierre forme une localité dans laquelle il reste encore deux bâtiments qui sont encore debout et dont un est habité.
L’état d’abandon du Reichenberg est tel que les bruits courent que les sorcières ont pris l’habitude de se réunir dans cet endroit écarté. Elle y célèbrent leur sabbat et y machinent leurs maléfices. Le tribunal de Bergheim s’empare de ces rumeurs et dans l’obscurentisme de l’époque 25 procès de sorcellerie se déroulent entre 1583 et 1630. Ainsi ces malheureuses femmes poursuivies par la malveillance populaire sont torturées et brûlées vives sur le Grassberg, colline en face du Reichenberg.
Actuellement des habitants de Bergheim aidés par la municipalité et le conseil général ont entrepris de réhabiliter la mémoire de ces femmes et de créer un musée fort intéressant qui explique et illustre l’état d’esprit de cette sombre époque de misère, d’épidémies, de guerre et ou la grande peur régnait à tout propos dans les superstitions les plus honteuses.
La guerre de 30 ans et l’invasion des suédois, une période sombre et cruelle pour l’Alsace
Et malgré cela le fond de la misère la plus sordide n’était pas encore atteint la guerre de 30 ans avait débuté depuis 1620 et s’était transformée en guerre de religion entre les Catholiques et les Protestants.
Rapidement cette guerre se développe au niveau européen. Les 14 premières années de cette guerre laissent la région de Bergheim relativement indemne et les aventuriers comme Ernest de Mansfeld pillent comme d’habitude les environs sans toucher à la ville défendue par ses remparts.
Malheureusement les Impériaux protestants arrivent en force car la Suède est entrée en guerre et le général de Horn qui commande se jette sur l’Alsace, traverse sans résistance et en quelques jours atteint Benfeld qui s’était retranché sous les ordres du Baron Jean-Louis Zorn de Bulach. Pendant 40 jours il bloque l’invasion suédoise contre la haute Alsace et résiste au siège.
Son descendant Stanislas Zorn de Bulach m’a raconté que pendant le siège le général de Horn avait établit son camp à Osthouse dans leur château et la femme de Jean-Louis en prière passa les quarante jours du siège à s’occuper, pour résister aux avance du général suédois, à broder les tapisseries de la salle à manger encore en place aujourd’hui. A part cette anecdote amusante Benfeld capitule et les suédois exterminent la population avant d’avant d’avancer vers le sud.
Personne n’avait encore imaginé la cruauté des suédois, l’alsace est en feu et en sang. C’est l’anéantissement total et tandis que Sélestat tente de résister les lieutenant de Gustave attaquent et pillent les villes moins importantes des environs. C’est ainsi qu’à Bergheim le 15 novembre 1632 les détachements suédois commandés par Othon Louis de Salm arrivent devant la ville. Les suédois somment les habitants d’ouvrir immédiatement les portes. (ils comptent deux compagnies à pied et trois compagnies à cheval, ce qui représente déjà une petite armée mais en plus ils ont 7 pièces d’artillerie). Les remparts de Bergheim commencent à dater, leur conception se démode et l’artillerie à fait de gros progrès si bien que les bergheimois pensent à juste titre qu’ils ne s’en sortiront pas indemne cette fois-ci.
Bref malgré leur courage souvent reconnu la situation de la ville semble prise de court. A peine une centaine de mercenaires de toutes provenances envoyés par le Régence d’Ensisheim défendent la ville. Ils sont commandés par un officier d’occasion connu sous le nom de Lieutenant Paul Pantaléon sans doute d’origine italienne. Dans ces conditions une résistance sérieuse n’est pas possible et les Bergheimois livrent la ville aux suédois qui récupèrent immédiatement dans leur troupes les cent mercenaires, épargnant Pantaléon et se livrant, comme on l’imagine, au pillage brutal des maisons. Ils assassinent la population et peu en survivent.
Quelques-uns se sont enfuis pour se cacher dans la foret mais maladies et famines en viennent à bout. Un texte dans les archives de Bergheim donne un idées du massacre : une grande partie des maisons est en ruine, une vingtaine d’hommes survivent sur trois cent inscrits dans les deux corporations des artisans et des vignerons. Les villages de Rodern et Rorschwihr ne sont pas épargnés et Weiler (Saint Pierre) déjà mal traité par les rustauds est rasé par le feu.
Le Tempelhof et le Reichenberg sont pillés et ce qu’il en restait des guerres précédentes est incendié.
Le cauchemar épouvantable que vécu l’Alsace pendant cette guerre est difficile à imaginer et dans la mémoire populaire le souvenir se perpétue encore aujourd’hui. Trois siècles plus tard Hansi raconte dans son livre « Histoire d’Alsace racontée aux petits enfants » que les mamans menacent les petits enfants qui crient trop fort de faire venir les « Schweds ».
Le Reichenberg passe de mains en mains jusqu’à la Révolution
Cette situation de conflit permanent à découragé les propriétaires d’autant que les mines d’argent ne sont plus exploitées. Il est certain que depuis deux siècles Seigneurs et Paysans souffrent de famines, de guerres et d’épidémies, l’exploitation d’une mine et l’organisation des corvées obligatoires n’est plus possible.
D’autre part la population exploitée à outrance par les propriétaires a compris que pour survivre elle ne pouvait rien attendre des Seigneurs et qu’il lui fallait elle même organiser sa défense. C’est ainsi que les villes et Bergheim en particulier achètent leur liberté en payant les rançons et en prêtant de l’argent aux Seigneurs occupés à leurs éternelles querelles.
Petit à petit ceux-ci ont de moins en moins d’autorité sur les bourgeois réunis au sein des corporations devenues riches et puissantes. Les Müllenheim ne reconstruiront pas le Bas Reichenberg. De ce château il ne reste plus aucune trace aujourd’hui. Et la forteresse au sommet du rocher va traverser les siècles et résister tant bien que mal aux guerres qui se succèdent.
Les Hattstatt y vivent jusqu’au début du XVème siècle puis le château n’est plus habité et il est pillé et incendié en même temps que le Tempelhof, commanderie de l’ordre de St Jean, voisine du Reichenberg, pendant la guerre des Rustauds en 1572.
En 1585, meurt Claus, dernier descendant mâle des Hattstatt, le Duc de Lorraine donne le Reichenberg à Reinhardt de Schauenburg. Aussitôt les Habsbourg ripostent et le donnent en fief à Christophe de Stadion.
En tout état de cause , le château n’est plus habitable et lorsqu’en 1618 éclate la guerre de Trente ans, seulement les dépendances sont encore occupées.
Le 15 novembre 1632, Bergheim tombe aux mains des Suédois qui rasent le village de St Pierre entre Bergheim et le Reichenberg dont ils incendient les dépendances. En 1634, le Reichenberg est confisqué aux Schauenburg catholiques pour être attribué au Comte protestant Guillaume de Nassau, jusqu’à ce que Louis XIII déclare Charles de St Maur, Seigneur de Bergheim et du Reichenberg. Ce dernier devient bientôt gouverneur du dauphin : il vit à la cour de Versailles et prend le titre de Marquis puis Duc de Montausier.
Le Reichenberg et Bergheim ne l’intéressent plus ; Il vend ses biens alsaciens en 1679 au prince Palatin, Christian II, Duc de Birkenfeld, marié à Catherine de Ribeaupierre, dernière descendante de cette famille.
Puis la guerre de ligue d’Augsbourg éclate en 1688 ; Le Duc de Birkenfeld, Colonel du Régiment Royal Alsace doit faire face à ses obligations de propriétaire du Régiment. Il donne en gage Bergheim et le Reichenberg au Baron de Biberach qui lui avance de l’argent. Trente ans plus tard, son fils rembourse la dette et réunit à nouveau Bergheim et le Reichenberg à la seigneurie de Ribeaupierre. Une gravure de Grandidier montre au sud du château une tour qu’il aurait fait construire pour rendre la ruine habitable.
En 1731, par héritage il devient Duc de Deux Ponts et se retire dans son duché confiant le sort du Reichenberg à un intendant qui, sans scrupules et sans protestations, semble-t-il, du propriétaire, se livre à son démantèlement.
Au temps de la Révolution le Reichenberg est vendu comme bien national à un habitant. Les bâtiments en ruines ne présentent plus d’intérêts, la végétation les a envahis et le monticule se morcelle au gré des ventes et des successions.
Le Reichenberg semble définitivement oublié et abandonné et les vues qu’en donne Rothmuller en 1832 montrent que le donjon lui aussi s’est écroulé. L’art militaire a évolué en même temps que l’armement s’est transformé et la révolution à aboli les privilèges la noblesse.
L’arrivée du Reichenberg dans la famille Cognacq
En 1920 Edmond Bapst, Ambassadeur de France, achète le château à un membre de la famille de Pange qui s’y était installé à la fin de la première guerre mondiale.
Diplômé de l’école des Chartes, il choisit la voie diplomatique et fut notamment en poste en Egypte, en Chine et à Constantinople. C’est dans la capitale de l’empire ottoman qu’il rencontra sa femme, Gabrielle Evain Pavé de Vendeuvre. Durant la première guerre mondiale, Edmond Bapst fut ambassadeur au Danemark, pays neutre qui occupait une position stratégique essentielle entre les deux systèmes d’alliances alors aux prises. Il termina sa carrière comme ambassadeur de France au Japon.
Son amour de l’Alsace et son goût très vif pour la langue et la culture germanique expliquent sa décision de venir habiter ici après son départ à la retraite avec sa fille Nicole. Edmond Bapst était l’héritier d’une longue dynastie de joailliers parisiens d’origine allemande qui travailla à la fin du XVIII ème siècle et durant le XIX ème siècle pour les familles régnantes successives.
Avec son architecte Riegert, il construit deux escaliers d’entrée, installe l’eau courante à tous les étages ainsi que le chauffage central. On dit qu’en hiver il avait une personne chargée d’alimenter la chaudière qui brûlait 1 tonne de charbon par jour.
C’est dans le cadre néo-médiéval de cette maison, édifiée par plusieurs propriétaires successifs sur les ruines d’un château fort, qu’il écrivit quelques ouvrages historiques consacrés en particulier au phénomènes de la sorcellerie en Alsace au XVII ème siècle, ainsi qu’à l’énigme de Kaspar Hauser. Il écrit aussi « Histoire du Reichenberg » et « Les sorcières de Bergheim » dont il chercha les sources entre autre dans les archives de Bergheim.
Pendant la deuxième guerre mondiale sa fille Nicole, épouse de Philippe Cognacq, un officier pilote de l’armée de l’air est contrainte de quitter le Reichenberg. Comme toute l’Alsace, la propriété subit les rigueurs de l’occupation nazie. Elle fut en effet transformée en centre de vacances pour les jeunesses hitlériennes.
A la libération le château était en piteux état et l’essentiel du mobilier avait disparu. Un obus américain avait détruit la petite maison située au pied du Reichenberg et construite par Monsieur Ehret et un autre avait sérieusement endommagé la toiture d’entre les deux tours principales du château. Ce fut à Nicole–Bapst d’assumer la lourde charge de remettre en état le Reichenberg à nouveau victime de la guerre.
Le Reichenberg redevint résidence d’été à partir de 1945. Depuis 1969, Patrick Cognacq, nommé architecte départemental du Haut-Rhin, et son épouse Jeanne Garrone décident d’en faire leur résidence principale et s’y établissent avec leur famille. Ils se consacrent avec énergie au maintien de cette propriété chargée d’histoire qu’ils font notamment inscrire à l’inventaire supplémentaire des sites. Ils y plantent des vignes pour assurer un revenu annuel et entretenir les toits du château.
Depuis 2001 une nouvelle génération, Martin et Benoît Cognacq, prend petit à petit la lourde charge d’ajouter un autre maillon à la destinée du Reichenberg qui atteint aujourd’hui l’age respectable de sept siècle et demi.